Cuverville
Toulon Var agglomération
Article mis en ligne le le 27 /11 /2011
Toulon : les sirènes de l’extension universitaire

Entre fantasme et folie des grandeurs, un projet d’urbanisme qui fait joli sur le CV de ses promoteurs mais dont l’université et les contribuables se passeraient bien.

À la fin des années soixante, quand il fut question d’installer un Institut Universitaire de Technologie à Toulon, le maire Maurice Arreckx préféra éloigner les étudiants en périphérie de sa ville. Le campus de l’université se développa autour de l’IUT sur une terre agricole située entre la Garde et la Valette. Dix ans plus tard, le "Centre universitaire de Toulon et du Var" était devenu université à part entière [1]. On comptait déjà plusieurs UFR [2] sur la colline quand François Trucy, nuançant la stratégie de son prédécesseur, dédoubla le campus par la construction du bâtiment de l’UFR Droit en plein cœur de Toulon, près de la porte d’Italie.

C’est en vantant un nouveau « schéma universitaire [reposant] sur le développement de l’Université du Sud Toulon-Var en deux pôles » [3] et la « redynamisation » de la capitale du Var qu’Hubert Falco prolonge aujourd’hui ce campus-bis, plantant des grues sur la dalle des ferrailleurs pour une nouvelle extension dont on a encore du mal à cerner la destination exacte, même si cela semble très clair dans la propagande municipale.

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1 Dalle des ferrailleurs - 2 UFR Droit - 3 Stade Mayol - 4 Porte d’Italie

On parle d’un « pôle destiné aux sciences humaines et à l’économie ». On dit « Maison de la Recherche euroméditerranéenne ». On a vendu ces labels aux quatre institutions acheteuses : Agglomération, Conseil général, Conseil régional, État. Mais la seule décision vraiment actée par la direction de l’université, héritière de ce projet élaboré par l’équipe de l’ancien président Laroussi Oueslati, est d’y déplacer l’UFR Ingemedia qui depuis sa création bouillonne dans des préfabriqués à la Garde.

Difficultés architecturales

La dalle des ferrailleurs est ce no man’s land de béton que surplombe la Maison des technologies, et qui attend son destin depuis deux décennies. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’on l’a si longtemps laissée à l’abandon.

François Trucy ambitionnait d’y déplacer l’Hôtel de ville, il dût abandonner l’idée devant l’ampleur et le coût de la tâche. Il y a un parking sous la dalle, et sous le parking de la terre gorgée d’eau. Parce que la mer n’est pas loin, parce qu’on se trouve sur l’ancien delta d’une rivière détournée par Vauban [4].
Dans la zone, l’ancrage au sol est délicat : il a fallu creuser à 18 mètres pour fixer les deux écrans géants que les Toulonnais ont offert cet été au stade Mayol.

Pour l’extension, l’agglomération TPM a retenu le projet de l’agence Michelin structuré en quatre blocs distincts. Un socle recouvre l’essentiel du site et supporte trois plots orientés en arc de cercle avec vue imprenable sur l’entrée de l’autoroute. Dans le socle, un amphithéâtre de 300 places, dans les plots des salles de cours plus modestes, des bureaux et les activités de recherche. Entre les plots, comme on le voit sur l’infographie promotionnelle, des pins parasols centenaires.

L’ouvrage est massif, aussi haut que les édifices avoisinants. On pourrait gloser sur l’esthétique de l’ensemble en se projetant à la place du piéton remontant l’avenue Franklin Roosevelt. Pour les rampants, la nouvelle fac ressemblera avant tout à un bunker : les images prospectives montrent que le socle en forme de parallélépipède marronnasse s’élèvera à plus de 10 mètres au dessus du sol — à peu près trois étages d’un immeuble commun. Mais bon, n’anticipons pas, car avant d’apprécier le bâtiment il faudra bien le construire.

L’appel d’offres BTP stipule que le « parking sous-terrain existant [...] sera maintenu en fonctionnement pendant toute la durée du chantier. La superposition des deux ouvrages entraîne des travaux importants de reprise de la structure en place ainsi que des fondations. »

Force est de constater que le parking est déjà fermé alors que les travaux viennent à peine de commencer. Contradiction avec le cahier des charges, manque à gagner pour l’opérateur privé, Vinci, qui n’oubliera sans doute pas de s’en inquiéter auprès de monsieur le Maire.

Des spécialistes estiment que la « reprise de la structure en place » ne pourra consister qu’en une redéfinition complète de l’ossature du parking qui n’avait pas été prévue pour supporter le projet de l’agence Michelin : élargissement du soutènement, réduction conséquente du nombre de places de parking disponibles... Perte d’exploitation future, encore un manque à gagner pour Vinci qui n’oubliera sans doute pas de s’en inquiéter auprès de monsieur le Maire.

Le coût du bâtiment était initialement estimé à 25 millions d’euros. La facture s’est brutalement alourdie à 34 millions, un petit +36%. Sur les quatre partenaires, trois regardent sur le côté en sifflotant : voilà donc l’agglomération contrainte d’assumer presque intégralement un surcoût déjà impressionnant.

Coquille vide ?

Quand l’université, dont l’effectif plafonne à 10.000 étudiants, a vendu son projet aux élus alléchés, elle a promis l’invasion. « Au total : 160 enseignants, 2000 étudiants et 60 personnels supplémentaires », annonce Var matin [5]. Les bulletins municipaux, moins exaltés, parient sur « plus de 1500 étudiants, enseignants et chercheurs supplémentaires » [3].

Il serait plus raisonnable d’utiliser le terme vases communicants. Comme indiqué plus haut, il y aura ce transfert impliquant 400 étudiants, 4 personnels administratifs et 7 enseignants titulaires d’Ingémedia. D’autres suivront selon les décisions de l’USTV dont on rappelle qu’elles ne sont pas arrêtées. Du « supplémentaire » en centre-ville, donc, certainement. De là à augmenter le nombre global d’étudiants de l’USTV, il y a un pas que ne franchira certainement pas le maire de Toulon, vu que ce n’est pas son problème. On cherchera en vain une réflexion préparatoire digne de ce nom sur les conditions de vie estudiantine, sur les besoins des uns et des autres, sur les contraintes, l’environnement et les moyens.

La Surface Hors Œuvre Nette (SHON) de l’université dans son ensemble aujourd’hui exploité, si on compte les sites de la Garde, de Draguignan, de Saint Raphaël et de Toulon, n’atteint pas les 80.000m². Celle du bâtiment en construction est estimée à 9400m², soit une augmentation d’environ 12%. Pour autant, comme le veut la coutume, l’édifice sera livré complètement nu. Pas de chaise, pas de bureau, Pas de tableau. Pas de personnel d’entretien, pas de personnel de sécurité, pas de jardinier pour arroser les pins parasols centenaires, pas de nouveau prof. Bien sûr, le président de l’USTV quémandera auprès du ministère quelques euros d’investissement, à vot’ bon cœur m’sieurs dames, et une poignée de postes afin de compléter une liste de titulaires dont chacun s’accorde à dire qu’ils sont en nombre insuffisant pour gérer l’existant [6], dans une période où le processus d’autonomie des universités rend leur situation financière de plus en plus délicate. Pas sûr qu’il obtienne quoi que ce soit. Les grandes restrictions budgétaires qui s’annoncent ne vont rien arranger à l’affaire. Voilà pour le chapitre encadrement / moyens.

En ce qui concerne l’augmentation du nombre d’étudiants, il faudra un peu plus d’un bunker et de trois plots pour créer la dynamique, à moins de considérer qu’un gisement inconnu de jeunes gens dort au centre-ville.

Le problème se pose chaque année en septembre : il n’y a jamais assez de logements universitaires pour héberger tous ceux qui le souhaitent. Certains finissent par se lasser de faire les trajets quotidiens depuis leur foyer de Draguignan ou l’appartement d’une tante à Marseille, de squatter à droite et à gauche en attendant que la situation se débloque. Au total, le CROUS [7] gère moins de 850 lits sur l’agglomération. Peut-on raisonnablement envisager une augmentation d’effectifs de l’ordre de 20% si l’offre de logements ne se développe pas de façon conséquente ? À ce jour, en matière d’investissement public sur les chambres universitaires toulonnaises, un seul programme est financé. Il concerne l’îlot Baudin au centre ville, derrière l’ancienne Bourse du travail, pour une petite centaine de lits. Les travaux devaient commencer à l’automne mais on a repoussé l’échéance au printemps (le retard, cette tradition locale). On cible aussi un terrain sur le site du lycée Dumont d’Urville, ça alimente les discussions. Et puis il y a quelques programmes privés... Perspectives rachitiques qui ne permettront pas de développer la capacité d’accueil dans les proportions attendues.

Ces problèmes de logement pourraient être tempérés par la mise en place d’un transport en commun digne de ce nom, insensible aux embouteillages et respectueux des horaires, qui permettrait d’établir une connexion entre Toulon et La Garde et les logements universitaires qui seront paraît-il bientôt construits à la Seyne et au Pradet... On sait hélas que Falco a toujours conditionné le début des travaux du TCSP [8] à l’ouverture définitive de la traversée autoroutière de la ville, dont on vient d’apprendre qu’elle sera encore retardée de deux ans (2015)...

Mais ce n’est pas tout. Ces problèmes de transport révèlent les difficultés relatives à l’éclatement du campus, un éclatement contradictoire avec le principe de l’agora et des échanges interdisciplinaires, aussi avec la restructuration et la rationalisation des ressources universitaires (toujours ces vulgaires problèmes de fric). Le service des sports est centralisé à la Garde. Le service de reprographie et d’imprimerie est centralisé à la Garde. Le service informatique est centralisé à la Garde. Quid d’une bibliothèque délocalisée supplémentaire ? Quid d’une antenne médico-sociale ? Décentraliser imposera forcément que l’on mette en œuvre de nouveaux moyens, un truisme qui a manifestement échappé aux promoteurs universitaires du projet.

Et puis les étudiants, il faut les nourrir. Pas de programme de restaurant dans la nouvelle extension. L’idée serait d’utiliser la cafétéria de la fac de Droit aujourd’hui sous-exploitée. L’UFR Droit accueille environ 1800 étudiants. Avec les 1500 nouvelles têtes du bâtiment d’en face, on passera directement de la case "sous-exploitation" à la case "sur-exploitation", sans passer par le "fonctionnement normal". Car ici, rien n’est normal.

Un séminaire consacré au fameux nouveau « schéma directeur de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche » s’est récemment tenu sous l’impulsion de TPM. Sur la problématique du logement, les brainstormers ont accouché de deux idées : 1) la promotion des « logements intergénérationnels » et 2) le « speed dating collocation ». Sur celle du transport, « en attendant le TCSP », ils proposent de « mettre en place un système de covoiturage et de navettes ». Ça fait rire, oui, mais il faut bien reconnaître qu’il est toujours délicat de formuler des bonnes solutions en aval quand les réflexions n’ont pas été conduites en amont.

Bref : en l’état, une construction chère au contribuable de TPM, une gestion qui plombera les finances de l’université à moins que la nouvelle extension ne reste un palais des courants d’air, des calculs sur l’augmentation du nombre d’étudiants de l’USTV à revoir... Comme dira Falco : « un grand projet, une belle réussite ».




[1] Décret n°79-150 du 22 février 1979.

[2] Unité de Formation et de Recherche.

[3] In Pour réussir l’avenir de Toulon 2001-2011, publication auto-promotionelle du maire de Toulon.

[4] Lire Jauréguiberry : arche de Noé ou abri anti-atomique ? et Dansons sous la pluie.

[5] 5 octobre 2011.

[6] La source des créations de postes est tarie au niveau ministériel. La gestion de la pénurie ne permet pas à l’université de créer des emplois pérennes, et la stratégie de l’équipe en place, après l’affaire Oueslati, est de rester dans les petits papiers gouvernementaux : pas question de ruer dans les brancards. Sur cette base, elle vient d’externaliser l’entretien du patrimoine immobilier. En attendant d’autres services ?

[7] Centre Régional des Œuvres Universitaires et Scolaires.

[8] Transport en commun en Site Propre.