Cuverville
Editos
Article mis en ligne le le 14 /09 /2008
Le retour du Kermocco
par Goulven Laouenan

En d�barquant � Toulon de ma Bretagne natale par un TGV qui, � miracle ! n’avait connu aucune avarie, il me sembla que quelque chose avait chang�. De vieux amis de Castigneau m’avaient effectivement parl� de la beaut� des trottoirs revenue, des g�raniums et du Palais Libert�. D’autres comptabilisaient les nuits de feux d’artifices et les rotations jaunes et bleues des ferries vers la Corse. J’avais connu la ville sinistr�e, moribonde, sans tramway, sans app�tit culturel, sans soutien �conomique, d�sert�e par la jeunesse, survivant gr�ce � l’aide publique de collectivit�s locales p�trifi�es par le n�potisme, une universit� rachitique qui ne servait qu’� l’avancement politique de sinistres clowns. Pr�par� au choc, je descendis du train et quelques pas suffirent : la gare d�j� �tait diff�rente, et ces rues, o� menaient-elles ? Soudain, je me rendis compte qu’� force de discuter avec ma voisine j’avais rat� l’arr�t toulonnais, j’�tais descendu � Fr�jus.

Natif de Landerneau, homme humble. Mon coeur ne vibre qu’� la vue d’un vieux gr�ement et d’une fille de joie. Vous trouvez que �a fait clich� ? Tant pis. C’est pour ces raisons que je suis venu � Toulon. Le Belem et l’Amerigo Vespucci sont � quai ce mois-ci. Mon cousin est en arr�t maladie apr�s un incident sur une chaufferie du Charles de Gaulle apr�s lequel tous les poils de son corps sont tomb�s. C’est �trange. On ira visiter les grands bateaux � voile ensemble. En juillet dernier, mon cousin �tait d�j� mont� sur le navire amiral ukrainien au nom impronon�able : Hetman Sagaydachniy. Ah ! l’Ukraine, ses plaines dor�es de bl� m�r et son site de Tchernobyl... Brest et Toulon sont aussi nucl�aires. Ici les r�acteurs et chez moi les missiles. Nous, Bretons, avons le privil�ge des boulettes de fioul qui agr�mentent le go�mon.

Je ne vais pas bouder mon plaisir d’�tre dans le Sud. Le soleil brille, les jupes sont courtes et les gens ont le sourire. Surtout, le soleil brille. Le centre trouve un nouveau dynamisme. Gilbert B�caud est revenu faire son march� sur le cours Lafayette. Des amis de la Colline Saint-Pierre, quand je leur ai racont�, ont pr�f�r� croire que j’avais confondu Monsieur 100.000 volts avec la ligne � tr�s haute tension.

On est all� p�cher au pied de la Tour Royale, il y a un nouveau parc. Des gosses jetaient des pierres � mon cousin parce qu’il leur faisait peur. Il a perdu ses ongles et ses dents. La Tour royale, Dieu que c’est beau ! Franchement, pour les vacances, on est plut�t bien. On ne se prend pas la t�te.

Je dis �a — les vacances — parce que je ne sais pas vraiment si je m’installerai d�finitivement ici apr�s la retraite. Pourtant, il y a ce qu’il faut dans les sup�rettes. Beurre demi-sel, cr�pes et cidre. Le bagad de Lann Bihou� qui revient en 2012. Mais il leur en faudra du souffle pour gonfler leur cornemuse et je ne suis pas s�r qu’au rythme o� vont les choses, la qualit� de l’air toulonnais leur permettra de sortir une note claire.

Je parlais des filles de joie. C’est ce qui bouge le plus vite dans une ville. Les visages changent, bien s�r, les lieux aussi. Chass�es ici elles apparaissent l�-bas. J’ai perdu le rythme toulonnais et ne me parlez pas de la rue ex-du Canon, je ne suis pas si vieux que �a !

Mon cousin fait de l’eau. Il gonfle, c’est plut�t disgracieux. Quand il parle �a fait comme un clapotis, on se croirait en mer. J’ai le pied marin alors je continue de l’�couter avec bienveillance. D’autres interlocuteurs sont moins � l’aise. J’en vois qui verdissent � son passage, pr�ts � vomir. Apprendre � naviguer sur pointu ou Optimist ne forme pas � la grande Temp�te, au Cap Horn ou la Solitaire du Figaro. Tout au plus � la lecture du Figaro. Et encore. Il est para�t-il des Toulonnais qui ne sauraient lire le Figaro sans vomir.