« Si vous votez non, la France a 9% des droits de vote, si vous votez oui, la France a 40% de droits de vote en plus, 13,2% », nous dit l’impr�cateur Nicolas Sarkozy [1].
COMME rien n’est simple avec le texte soumis au r�f�rendum, essayons de comprendre d’o� sortent ces pourcentages.
Les trait�s europ�ens pr�voient les cas dans lesquels le Conseil statue � la majorit� simple, � la majorit� qualifi�e ou � l’unanimit�. La modification du calcul de la majorit� qualifi�e propos�e par le trait� constitutionnel est pr�sent�e comme une avanc�e majeure. Il para�t en effet qu’� 25, l’Europe ne pourrait fonctionner correctement avec la majorit� qualifi�e actuelle, jug�e trop difficile � obtenir [2].
Aujourd’hui.
Selon le trait� de Nice, la majorit� qualifi�e est atteinte sous 3 conditions :
la majorit� simple des �tats, c’est-�-dire 13 �tats membres sur 25 ;
la majorit� qualifi�e des voix, fix�e � 72% du total, soit 232 voix sur 321 dans une Europe � 25 ;
la majorit� qualifi�e ainsi obtenue doit repr�senter au moins 62% de la population de l’Union.
Actuellement, la France dispose au Conseil des ministres de 29 voix sur 321, soit environ 9% des droits de vote. Sachant que lorsque la majorit� qualifi�e des voix est acquise les crit�res de majorit� simple et de population le sont aussi dans quasiment tous les cas [3], on peut donc consid�rer que le poids de la France au Conseil des ministres est d’environ 9%. Jusque l�, aucun probl�me.
Demain, avec le trait� constitutionnel.
Avec l’entr�e en vigueur du trait� constitutionnel (article I-25-1) [4], l’ancien syst�me attribuant � chaque �tat membre un certain nombre de voix est abandonn� pour un syst�me de double majorit� :
« La majorit� qualifi�e se d�finit comme �tant �gale � au moins 55% des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d’entre eux [5] et repr�sentant des �tats membres r�unissant au moins 65% de la population de l’Union.
Une minorit� de blocage doit inclure au moins quatre membres du Conseil, faute de quoi la majorit� qualifi�e est r�put�e acquise. »
Stricto sensu, la France disposera donc d’une voix sur 25, soit exactement 4% des droits de vote.
D’o� viennent donc les 13,2% de Sarkozy ?
En cherchant bien, on se rend compte que ces 13,2% correspondent environ au rapport de la population fran�aise � celle de l’Union. La population de la France est en effet de 60 millions, celle de l’Europe de 456 millions, et 60/456 �gale � peu pr�s 0,132.
Les d�fenseurs du "oui" font donc comme si le poids du vote au Conseil d�pendait uniquement de la population, en occultant totalement le crit�re d’une majorit� de 55% des �tats membres. Peut-on qualifier cela de "juste approximation" pour �viter d’abrutir le peuple avec un chiffrage trop pr�cis ?
Par exemple, une coalition des 5 plus gros �tats — Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie et Espagne — repr�sente plus de 65% de la population europ�enne. Pourtant, il manque encore les voix de 10 �tats membres pour atteindre la majorit� qualifi�e. Une bagatelle.
Apr�s avoir constat� l’inexactitude des propos de Sarko (ce qui nous �tonne, parce que ce n’est pas du tout son genre de faire dans le populisme et le mensonge), on peut quand m�me essayer de chiffrer ce fameux "poids de la France" au Conseil.
Et bien il appara�t que la d�finition de la majorit� qualifi�e ne permet pas de donner de r�sultat. Depuis de nombreuses ann�es, des math�maticiens se sont saisis de la question. Pour calculer le poids d’un �tat membre au Conseil il faut faire appel � la th�orie des jeux coop�ratifs et plus pr�cis�ment � ses d�veloppements relatifs aux "indices de pouvoir".
Indice de pouvoir de la France.
« La question de la mesure du pouvoir concerne toute instance de d�cision collective, au sein de laquelle des d�cisions sont prise sur la base d’un vote, chaque participant (�tat) pouvant voter oui ou non. Le
pouvoir d’un participant se d�finit comme sa capacit� � contr�ler a priori le r�sultat des votes. � partir de ce cadre th�orique, il s’agit de mesurer le pouvoir a priori des �tats, lequel r�sulte de l’effet des r�gles de vote sur la structuration des coalitions gagnantes.
L’indice de Banzhaf (Banzhaf, 1965) est ici utilis� comme m�thode de mesure du pouvoir relatif des �tats au Conseil. Le pouvoir d’un �tat a est, pour un cadre institutionnel donn�, la probabilit� que a soit dans une position lui permettant de d�terminer le r�sultat de la d�cision. Plus pr�cis�ment, le pouvoir d’un �tat correspond � sa probabilit� d’�tre pivot
pour les d�cisions, c’est-�-dire sa capacit� de faire basculer les coalitions perdantes en coalitions gagnantes » [6].
On ne peut pas dire que ce soit simple. Ci-dessous un tableau r�capitulatif de "l’indice de pouvoir" de chaque �tat membre dans une Europe � 27 en 2010 — entr�e de la Roumanie et de la Bulgarie —, calcul� selon les modalit�s historiques, du trait� de Nice et du trait� constitutionnel.
�tat | Historique | Nice | Constitution |
---|---|---|---|
Allemagne | 7,0 | 7,8 | 9,9 |
France | 7,0 | 7,8 | 7,8 |
Royaume-Uni | 7 | 7,8 | 7,4 |
Italie | 7,0 | 7,8 | 7,1 |
Espagne | 5,9 | 7,4 | 5,6 |
Pologne | 5,9 | 7,4 | 5,3 |
Roumanie | 4,5 | 4,3 | 4,0 |
Pays-Bas | 3,8 | 4,0 | 3,6 |
Gr�ce | 3,8 | 3,7 | 3,0 |
Belgique | 3,8 | 3,7 | 3,0 |
R�p. tch�que | 3,8 | 3,7 | 3,0 |
Portugal | 3,8 | 3,7 | 3,0 |
Hongrie | 3,8 | 3,7 | 2,9 |
Su�de | 3,1 | 3,1 | 2,9 |
Autriche | 3,1 | 3,1 | 2,8 |
Bulgarie | 3,1 | 3,1 | 2,8 |
Slovaquie | 2,3 | 2,2 | 2,6 |
Danemark | 2,3 | 2,2 | 2,6 |
Finlande | 2,3 | 2,2 | 2,6 |
Irlande | 2,3 | 2,2 | 2,5 |
Lituanie | 2,3 | 2,2 | 2,4 |
Lettonie | 2,3 | 1,3 | 2,3 |
Slov�nie | 2,3 | 1,3 | 2,3 |
Estonie | 2,3 | 1,3 | 2,2 |
Chypre | 1,6 | 1,3 | 2,2 |
Luxembourg | 1,6 | 1,3 | 2,2 |
Malte | 1,6 | 0,9 | 2,2 |
On constate que le poids de la France n’�volue pas. Cette nouvelle majorit� qualifi�e avantage le plus grand �tat, l’Allemagne, ainsi que les plus petits.
Qu’au cours d’une campagne �lectorale des hommes politiques manipulent les chiffres n’est malheureusement pas une nouveaut�. Que l’�tat, par contre, dans la brochure publicitaire [7] accompagnant le texte du trait� �tablissant une constitution pour l’Europe, envoy�e � tous les �lecteurs fran�ais, affirme en truquant les donn�es que ce trait� « [renforcera] notre place au Conseil des ministres » est nettement plus inqui�tant :
Et maintenant, en bonus vid�o, encore plus fort que Sarko !
[1] Grand-Jury-RTL-Le Monde-LCI du 24 avril 2005. Ce chiffrage a �t� repris par Rocard et Bayrou, sans compter tous ceux qui sont persuad�s que le poids de la France augmentera parce qu’ils l’ont entendu dire.
[2] Rappelons au passage que le trait� de Nice d�finissait les r�gles de fonctionnement � 25. Ce qui �tait consid�r� comme satisfaisant � l’�poque est maintenant consid�r� comme intenable.
[3] Cf. bibliographie. Dans la pratique, les crit�res de majorit� simple et de population ne servent donc pas � grand chose. En ce sens, le trait� de Nice d�finit la majorit� qualifi�e de mani�re identique � celle pratiqu�e dans le syst�me historique o� seuls comptaient les votes pond�r�s de chaque �tat membre.
[4] Les dispositions relatives � la majorit� qualifi�e n’entreraient en vigueur qu’� partir de 2009.
[5] « Dans une Union � 25 �tats membres, quinze �tats repr�sentent 60% du nombre total. Par contre, dans une Union qui s’�largit au-del� des 25, cette disposition perd de l’importance : � partir du moment o� l’Union comptera 26 �tats membres, 55% des �tats comprendra math�matiquement au moins 15 d’entre eux. On peut donc comprendre cette disposition comme une clause transitoire ». Pour plus de pr�cisions voir .
[6] Cf. bibliographie.
[7] Le gouvernement n’a pas jug� n�cessaire de pr�senter les arguments du "non". Le document est disponible sur le site du Conseil constitutionnel. Le 16 mars, le conseil constitutionnel a rendu un avis non public sur ce materiel de vote.
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